Soutenir les paysans et paysannes : Une nécessité pour la nature et l’agriculture !

Prendre en considération les réalités et les difficultés paysannes est incontournable, lorsque l’on veut préserver les milieux naturels et restaurer la biodiversité. Sacrifier la biodiversité ne permettra par contre en aucun cas d’améliorer durablement la situation des paysannes et paysans !

Le modèle agricole en vigueur fournit des revenus insuffisants particulièrement pour les petites exploitations, en même temps qu’il entraîne avec lui des impacts écologiques significatifs. À terme, pour l’agriculture suisse, il n’y a guère qu’une certaine émancipation face au libéralisme[1] productiviste[2], qui serait à même de remédier à ses difficultés socio-économiques et à ses impacts environnementaux. Cela réduirait corollairement les tensions qui éloignent le monde agricole de l’écologie.

L’agriculture intensive pratiquée en Suisse pose de nombreux problèmes environnementaux. Ainsi, l’Institut fédéral de recherche sur l’eau (Eawag) signalait il y a quelques années « qu’une grande partie de la pollution actuelle en pesticides était imputable aux produits phytosanitaires de l’agriculture » ; ce qui reste vrais malgré quelques progrès. Les excédents d’azote et de phosphore dans les sols, les eaux et l’air, provenant des engrais de ferme et synthétiques sont encore monnaie courante. Les signaux sont au rouge concernant l’appauvrissement de la biodiversité, en particulier dans la zone agricole. De son côté, l’Office fédéral de l’environnement signale qu’en Suisse « tous secteurs confondus, c’est dans le secteur de l’agriculture que les émissions de méthane et de protoxyde d’azote sont les plus élevées », deux gaz dont les potentiels d’effet de serre sont 28 fois, respectivement 273 fois plus élevés que celui du CO2. Il faut aussi rappeler que la Suisse doit importer environ la moitié de sa nourriture. La moitié produite en Suisse l’est, elle, grâce à des importations massives de pétrole et de dérivés pétroliers comme les engrais, et de plus de 50 % du fourrage concentré pour le bétail. Ce fourrage (plus de 800’000 tonnes/an essentiellement pour les porcs, les volailles et la production laitière non bio) est souvent produit au détriment de la biodiversité et des milieux naturels d’autres pays.

Il est également flagrant que la situation socio-économique de nombres d’agricultrices et agriculteurs suisses est inacceptable. En vingt ans, le tiers des exploitations agricoles a disparu. Les personnes travaillant dans l’agriculture ont généralement des revenus largement inférieurs à ceux des autres secteurs économiques tout en travaillant plus. Des différences très importantes apparaissent toutefois entre les grosses exploitations de plaine qui génèrent des revenus confortables et la petite paysannerie dont les revenus se situent souvent très en dessous des minima sociaux. Cela est principalement dû à la stagnation depuis plusieurs décennies des prix payés aux producteurs, prix tirés vers le bas par la concurrence internationale suite à l’ouverture des marchés et à la suppression des quotas agricoles et des prix garantis. Il ne faut pas oublier que l’ouverture du marché agricole suisse a été « échangé » par les autorités suisses contre celle des services (banques et assurances) et de produits à haute valeur ajoutée (chimie, mécanique de précision).

Les « paiements directs » ont été très fortement développés dès 1993, en prévision de l’adhésion de la Suisse à l’OMC et de l’ouverture du marché agricole, afin de compenser le manque à gagner du secteur (aujourd’hui de l’ordre de 3 milliards par an), en échange de « services systémiques » et de « prestation écologiques requises » PER, comme la protection de la biodiversité et des paysages. Ils apportent en moyenne la moitié des revenus d’une exploitation (1/3 dans le canton) et sont donc incontournables pour les agriculteurs. Nombre de ces derniers, encore largement convaincus par les consignes productivistes d’après-guerre toujours promues par les instances et formations agricoles, doivent donc fournir des prestations qui ne correspondent pas à leur compréhension de leurs activités et objectifs. En conséquence, ils perçoivent souvent les systèmes de contrôles de la bonne exécution des prestations requises comme des contraintes bureaucratiques générant une perte d’autonomie. Heureusement, aujourd’hui, la reconnaissance de la nécessité de préserver la biodiversité dans la zone agricole progresse. En outre, près d’une exploitation sur six représentant près de 18 % de la surface agricole a pris le virage de l’agriculture biologique et leur nombre continue d’augmenter.

En conséquence :

Nous devons reconnaître les réalités et les difficultés paysannes : Les problèmes de l’agriculture ne sont pas ceux des paysans et paysannes, mais ceux de l’ensemble de la société.

Nous devons permettre à l’agriculture de s’émanciper du libéralisme productiviste, si nous voulons qu’elle puisse respecter des conditions sociales et écologiques élevées.

Nous devons en particulier :

  • Exiger que les produits agricoles importés respectent réellement les règles et normes sociales et environnementales suisses, y compris lors de leur production, et refuser les accords de libre-échange laxistes ;
  • Exiger sans relâche le contrôle strict des situations monopolistiques chez les grossistes agricoles comme la Fenaco, et une réduction des marges excessives de la grande distribution, en particulier sur les produits de l’agriculture biologique.

Nous voulons identifier avec les milieux agricoles :

  • Les possibilités de simplification et d’allègement des procédures de contrôle sans pour autant compromettre les résultats recherchés des prestations écologiques requises et des labels agricoles ;
  • Les moyens de développer et renforcer la formation professionnelle et le conseil agricole dans les domaines de l’agroécologie ;

A court terme, à l’aide de divers instruments réglementaires ou financiers, tels que le Revenu de Transition Écologique, nous voulons :

  • Soutenir le développement de l’agriculture biologique et des circuits courts ;
  • Préserver les terres agricoles en qualité et en quantité, sans préjudice pour les milieux naturels ;
  • Faciliter l’installation et le développement de projets de fermes durables et l’accès à la terre pour les jeunes diplômé·e·s ;
  • Promouvoir une alimentation plus équilibrée et la réduction du gaspillage alimentaire, et
  • Encourager la transition d’une partie de la production animale vers la production végétale.

À moyen terme, il s’agit de permettre à toutes et tous de bénéficier d’une alimentation de qualité, sans pesticides de synthèse et avec un impact réduit sur l’environnement, y compris en améliorant les conditions socio-économiques de la population à bas et moyen revenu, afin de lui permettre de consacrer plus de ressources à des aliments, dont la production respecte les personnes et la nature.

Pour la construction de ce monde nouveau, nous appelons paysan-e-s et écologistes à travailler ensemble.

[1] Le libéralisme économique est un courant de pensée, qui soutient l’idée qu’une économie de marché basée sur la propriété privée des moyens de production et les libertés économiques (libre-échange, liberté d’entreprendre, libre choix de consommation, de travail, etc.) est nécessaire au bon fonctionnement de l’économie et que l’intervention de l’État doit y être aussi limitée que possible.

[2] Aussi appelée agriculture intensive, l’agriculture productiviste cherche à maximiser la production par tous les moyens (main-d’œuvre, machines, irrigation, intrants…), dans une perspective de croissance. Elle s’oppose ainsi à l’agriculture vivrière et implique des enjeux environnementaux et sanitaires à l’échelle globale.

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